Ouvrières de première classe

 

Le mot « fragments », du titre, est bien choisi. Adaptant librement Retour à Reims, livre fondateur du philosophe Didier Eribon, qui y raconte son parcours de « transfuge de classe », Jean-Gabriel Périot choisit de n’en retenir que quelques segments. Les plus universels selon lui. Bonne pioche ! Son documentaire, Retour à Reims [Fragments], qui entend relater l’histoire du monde ouvrier français des années1950 jusqu’à aujourd’hui, dégage une force singulière. Politique et poétique : passionnante.

Abandonnant certains thèmes centraux du livre (le rapport à l’homosexualité́, notamment), le cinéaste se concentre sur les parents de Didier Eribon, singulièrement, sur les femmes de sa famille : sa grand-mère et sa mère. Et pour cause : le parcours de la seconde, intelligente, mais empêchée (pas question pour elle d’aller au-delà̀ du certificat d’études), au corps fatigué sinon abimé́ par l’usine, éclaire comme rarement l’histoire de la classe ouvrière (sans doute parce que les femmes en ont souvent été exclues).

C’est la première qualité́ de ces fragments ; l’autre étant la forme adoptée pour les rendre intelligibles et vibrants. Optant pour un fil chronologique, Jean-Gabriel Périot  donne à voir un montage impressionnant d’extraits de films, d’archives, de reportages télé́, qui ne se contentent pas d’illustrer son propos, mais l’incarnent. L’ensemble étant relié par la voix off d’Adèle Haenel, qui lit sobrement des passages judicieusement choisis de l’essai de Didier Eribon. Quelle bonne idée d’avoir confié́ à une femme et comédienne engagée la conduite de ce récit populaire !

 

A. A.
Causette
Avril 2022